Les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) constituent l’organisme subventionnaire canadien dédié à la recherche en santé. Les IRSC financent la recherche dans tous les domaines de la santé, notamment la recherche fondamentale en laboratoire, la recherche clinique et la recherche en santé publique. Les IRSC financent également la recherche méthodologique en statistique qui présente un intérêt particulier pour la communauté statistique. Au cours de ma carrière, j’ai été membre de groupes de discussion, lecteur arbitre, agent scientifique et, plus récemment, président d’un groupe consultatif aux IRSC. Depuis 1998, j’ai sporadiquement été responsable de fonds pour la recherche méthodologique, y compris en ce moment une subvention Fondation. À ce titre, j’ai rédigé ce texte en complément de l’article de Paul McNicholas paru dans le numéro de novembre 2016 de Liaison. Il présente quelques conseils aux statisticiens sur les façons de voir sa demande acceptée aux IRSC comme chercheur principal.

Les IRSC ont deux programmes principaux : le volet Projet et le volet Fondation. D’une durée et de montants variés, les subventions Projet sont destinées à un projet de recherche en particulier avec un objectif unique. Le volet Fondation finance le programme de recherche de chercheurs individuels (ou très rarement d’une équipe de chercheurs) pendant cinq ans pour les nouveaux chercheurs (qui occupent un poste académique depuis moins de cinq ans), et pendant sept ans pour les chercheurs établis. Le volet Fondation est habituellement axé sur des chercheurs très prolifiques ou qui présentent un fort potentiel.

D’une durée de trois à cinq ans, la subvention du volet Projet est orientée autour d’un seul ou de quelques projets en particulier. Des statisticiens connaissent déjà du succès auprès une gamme de subventions. La subvention typique s’articule autour du développement d’une nouvelle méthode accompagnée de quelques exemples réels qui démontrent comment la méthode améliore l’inférence pour résoudre un problème de recherche médicale concret. Par ailleurs, un chercheur peut se concentrer sur une problématique de recherche médicale et développer un ensemble de nouvelles méthodes pour la régler. La subvention du volet Projet finance des projets spécifiques, ainsi que le personnel et l’équipement nécessaires pour les réaliser. Règle générale, elle inclut le salaire des assistants de recherche et des étudiants. Le niveau de financement varie grandement, de moins de 50 000 $ à plus de 1 million $ par année pour des essais randomisés. Au cours des dernières années, les programmes de subvention ont connu des changements, mais le processus d’évaluation actuel du volet Projet est structuré en comités. Parmi ceux-ci, le comité intitulé Santé publique, santé communautaire et santé des populations 1 (PH1) précise dans sa description que « le mandat comprend l'élaboration et l'application de nouvelles méthodes statistiques. » Il s’agit de la catégorie par excellence pour les subventions destinées à financer des méthodes statistiques présentant des applications en santé.

La subvention Fondation vise à financer pendant une durée fixe le programme de recherche du chercheur principal dans le but de soutenir une base durable de grands chercheurs en santé. Le programme de recherche doit comprendre une série de projets de recherche intégrés, ainsi que des programmes de formation et de transfert de connaissances. Le profil du chercheur et son potentiel de mener de la recherche de pointe en continu compte beaucoup plus que les détails des projets individuels. Le montant de ces subventions se fonde sur les niveaux de financement antérieur du demandeur. Les IRSC calculent le montant en fonction du taux de succès des demandes antérieures de subvention de fonctionnement. Bien que le mandat de ce concours ne mentionne pas explicitement les méthodes statistiques, les statisticiens réussissent à obtenir la subvention Fondation. Cependant, les IRSC procèdent actuellement à une révision de ce volet. Certaines modifications ont été apportées au présent concours, et d’autres changements sont à prévoir (y compris possiblement l’annulation complète du programme).

Les IRSC présentent aussi parfois des concours ciblés. Ceux-ci s’articulent autour d’une ou de quelques questions de recherche précises. Ces questions ne sont pas nécessairement très pointues (certaines récentes portaient par exemple sur l’analyse de cohortes existantes et sur la médecine personnalisée) et peuvent inclure des projets méthodologiques admissibles. Ces concours ciblés affichent souvent un taux de succès plus élevé que les concours réguliers.

Enfin, les IRSC appuient de vastes réseaux ou équipes selon divers mécanismes de financement. Le Réseau canadien pour l’étude observationnelle des médicaments (ou CNODES en anglais), pour lequel je suis cochercheur principal, en est un exemple. Bien qu’il soit plutôt inhabituel qu’un statisticien soit à la tête d’un si grand réseau, ces regroupements ont presque toujours besoin de collaborateurs statisticiens. Ainsi, il est souvent possible de réserver une partie de leur budget pour la recherche méthodologique ciblée. Il est donc très judicieux de connaître le potentiel que recèlent ces réseaux, de s’y impliquer le cas échéant, et surtout de discuter ouvertement des possibilités de financement destiné à la recherche méthodologique. 

Le taux de succès constitue une différence importante entre les concours ouverts des IRSC (volets Projet et Fondation) et le Programme de subventions à la découverte du CRSNG. En effet, le taux de succès pour l’édition 2016-2017 de ce concours du CRSNG pour les chercheurs qui demandaient un renouvellement en statistique dépassait 95 % [1], alors que le taux de succès du volet Projet du concours des IRSC était plutôt de 16,5 %, selon les données publiées les plus récentes, et celui de la subvention Fondation est encore plus bas. Il n’est pas rare de voir une demande soumise être rejetée et révisée plus d’une fois avant de finalement recevoir du financement. Il est cependant important de noter que le montant moyen de ces subventions est considérablement plus élevé que celui des subventions à la découverte.

Bien que le taux de succès aux IRSC soit généralement faible, les statisticiens semblent obtenir un taux de succès supérieur à la moyenne (selon les résultats d’un sondage présentés au Congrès de la SSC 2017). Ils obtiennent des subventions notamment en statistique génétique, en développement méthodologique pour la recherche clinique, en recherche en santé publique et en services de santé, ainsi qu’en pharmacoépidémiologie.

Compte tenu de ces renseignements, comment un statisticien devrait-il présenter sa demande aux IRSC? Quelles sont les caractéristiques des demandes acceptées?

• La demande doit être axée sur un objectif de recherche en santé. On pourrait croire que ce critère élimine les demandes en statistique, mais ce n’est pas le cas. La clé consiste à présenter une nouvelle méthode statistique de façon à faire progresser la recherche en santé. Par exemple, s’il est possible de démontrer que les méthodes statistiques existantes ne répondent pas à un enjeu de recherche important, il devient alors nécessaire de développer un nouvel outil statistique.
• Par conséquent, le projet doit faire appel à des jeux de données réelles qui portent sur un problème de santé concret. Un jeu de données simples ne suffit généralement pas. Il peut s’agir d’une nouvelle analyse de données existantes qui datent (légèrement), mais elles doivent impérativement être réelles et utiles pour traiter de vrais problèmes de santé. Idéalement, le projet devrait fournir de nouvelles connaissances en santé grâce aux données.
• Règle générale, les subventions des IRSC sont accordées à de multiple cochercheurs (appelés « experts désignés » dans le cas des subventions du volet Fondation). Il est important qu’une subvention en méthodes statistiques soit dirigée par des cochercheurs appropriés. L’équipe peut compter d’autres statisticiens et des spécialistes en méthodologie, mais elle doit inclure des chercheurs cliniques ou épidémiologiques dotés d’une expertise dans le domaine principal à l’étude afin de démontrer que la composante médicale de la recherche sera étudiée et diffusée convenablement. Une expertise sur les questions de fond et une pertinence clinique sont indispensables à l’obtention du financement.
• Les développements théoriques peuvent présenter un intérêt, à condition qu’ils approfondissent l’objectif de recherche en santé; l’élaboration théorique en soi ne présente aucun intérêt pour les IRSC. Cependant, ces théories sont pertinentes si elles servent à démontrer les propriétés d’une méthode. Parfois, les techniques de simulation conviennent mieux que les développements théoriques lorsqu’elles tiennent compte des propriétés d’une méthode selon des paramètres réels.
• Le transfert des connaissances est très important pour toutes les subventions des IRSC. Pour une subvention en méthodologie statistique, cet aspect peut prendre la forme d’un logiciel (p. ex. les progiciels R), de travaux dirigés, d’ateliers ou d’autre matériel conçus pour faciliter l’utilisation des méthodes nouvellement élaborées par d’autres chercheurs, y compris des non-statisticiens.

Il faut aussi tenir compte de quelques autres facteurs. D’abord, contrairement au CRSNG, le comité d’examen est essentiellement constitué de non-statisticiens. Vous auriez de la chance que le comité compte un statisticien pour l’évaluation de votre demande, et rien ne garantit que votre domaine figure dans son champ d’expertise. Par conséquent, le langage mathématique ne sera d’aucune utilité. Vous pouvez l’inclure en pièce jointe au besoin, mais assurez-vous que le texte principal énonce clairement les objectifs et l’approche sans recourir à un langage mathématique complexe. De plus, votre demande sera examinée attentivement par au moins un non-statisticien. Ainsi, assurez-vous que la pertinence de cette recherche en santé soit clairement énoncée pour un chercheur non statisticien du domaine de la santé.

Comme mentionné ci-dessus, l’obtention du financement pourrait nécessiter plusieurs tentatives. Il est donc très informatif de lire les évaluations et d’y répondre. Il faut être attentif aux subtilités dans les commentaires. Vous proposent-ils de soumettre à nouveau? Suggèrent-ils que votre idée est affublée d’un important défaut et qu’elle doit être révisée en profondeur? Vous invitent-ils à l’épurer légèrement avant de la déposer à nouveau? Les commentaires sont souvent plus révélateurs que les scores eux-mêmes. Il peut également être utile de tirer profit des évaluations internes. En effet, la plupart des instituts de recherche en milieu hospitalier disposent maintenant de solides processus d’évaluation internes. La révision de la demande par des non statisticiens qui connaissent bien le système de financement peut donc permettre d’en apprendre beaucoup.

En résumé, il peut être décourageant de soumettre une demande aux IRSC, mais pour le bon projet, la démarche vaut la peine. La majorité des demandes envoyées aux IRSC, tous domaines confondus, ne recevront pas de financement. Pour les statisticiens, la démarche nécessite en outre des ajustements importants dans la façon de rédiger la demande. Bien que la proposition puisse et doive présenter des développements méthodologiques, elle devrait d’abord chercher à résoudre des problèmes réels issus de la recherche en santé. Cependant, les statisticiens obtiennent un taux de succès équivalent voire supérieur à la moyenne dans leurs demandes aux IRSC, et le montant des subventions est considérablement plus élevé que le financement accordé par le CRSNG. Ainsi, le jeu peut en valoir la chandelle. Les biostatisticiens devraient se renseigner sur les possibilités de financement par les IRSC afin d’en tirer profit.

Robert Platt

Président désigné de la SSC
Chaire en Pharmacoépidémiologie Albert Boehringer 
Professeur, Department of Epidemiology, Biostatistics, and Occupational Health
McGill University