Le Prix de Membre honoraire de la SSC est décerné aux scientifiques statisticiens, ou dans des circonstances particulières à d’autres individus, de grande distinction qui ont fait des contributions exceptionnelles au développement des sciences statistiques. Le travail pour lequel la personne est considérée pour cette mention honorifique devrait avoir été majoritairement complété au Canada ou avoir eu un impact majeur au Canada. Le récipiendaire n’est pas obligé d’être un membre de la SSC.
James A. Hanley, professeur émérite de biostatistique à l’Université McGill, a été nommé membre honoraire de la Société statistique du Canada (SSC). Ce prix vise à honorer une personne qui a contribué de manière exceptionnelle au développement des sciences statistiques au Canada et dont les travaux ont eu un impact majeur au pays.
Jim, comme l’appellent ses collègues, est né le 5 juin 1947 dans un petit hôpital de campagne du village de Castletownbere, dans le sud-ouest de l’Irlande. Avant de le ramener à leur domicile de l’île de Bere sur le frêle esquif familial, son père (charpentier, petit agriculteur, etc.) et sa mère (fille d’instituteur) l’ont fait baptiser sous le nom de James Anthony. Nationaliste, son grand-père maternel a suggéré de l’appeler Séamus, équivalent gaélique de James : c’est le prénom qu’il a porté pendant les 22 années où il a vécu en Irlande et celui que sa famille utilise encore à ce jour.
L'école primaire de Jim, bâtie par les Britanniques en 1857, n’avait que deux pièces : l’une pour les enfants de 2e année et moins, où la maîtresse comptait sur lui pour enseigner les tables d’addition aux plus jeunes ; l’autre, où le maître couvrait le programme de la 3e à la 7e année, de sorte que Jim pouvait y entendre tout ce que les plus vieux apprenaient.
Jim a fréquenté l’école secondaire St-Brendan à Killarney. Jusque dans les années 1960, cet internat préparait avant tout les élèves à la prêtrise ; Jim y a appris le latin et le grec pendant cinq ans, mais pas la chimie ou la physique. Jusqu’en 1964, très peu d’élèves obtenaient le « Leaving Certificate Honours » en mathématiques. La situation changea du tout au tout en terminale, car sa classe fut confiée à un docteur en chimie après le décès inopiné du prof de maths pendant l’été.
Jim n’était pas sûr de pouvoir se spécialiser en physique (son premier choix) à University College Cork (UCC). En plus d’étudier les mathématiques, la physique mathématique et la physique, il a donc suivi des cours d’économique dès la première année, sur les conseils du secrétaire général de l’établissement, qui était professeur de statistique. En règle générale, ce dernier ne rencontrait pas les étudiants, mais Jim lui avait remis une lettre de présentation d’une connaissance de la famille, qui avait déjà expliqué à ses parents qu’un diplôme en statistique lui permettrait de faire carrière au sein du Bureau central de la statistique d’Irlande ou en tant qu’actuaire (ses parents auraient préféré l’ingénierie, une profession qui leur était plus familière).
Aîné de six enfants, Jim a perdu son père un an avant de compléter ses études de 1er cycle. Dans l’incertitude, il est resté à l’UCC pour ses études de 2e cycle en mathématiques et en statistique, subvenant à ses besoins grâce à des tâches d’auxiliaire d’enseignement. Les perspectives de financement d’études doctorales au Royaume-Uni étant très minces, il a tenté sa chance auprès des quatre universités d’outre-mer, deux aux États-Unis, deux au Canada, dont les dépliants publicitaires se trouvaient sur le tableau d’affichage de l’UCC.
Dans un premier temps, il a accepté l’offre de SUNY/Buffalo, mais après quelques semaines, il s’est ravisé et a préféré celle de l’Université de Waterloo, surtout à cause de la lettre personnelle que William Forbes lui avait adressée en lui conseillant de venir au Canada en tant qu’immigrant reçu (ce qu’il a fait) et parce que la qualité d’impression de la documentation était meilleure.
La thèse de Jim portait sur le tabagisme. Il a étudié comment l’habitude se développe par le biais d’une enquête menée en 1972 auprès de 78 000 écoliers canadiens. Il a conçu le questionnaire, auquel les élèves répondaient en noircissant des cases sur une carte informatique standard. Les cartes étaient décodées par le lecteur optique d’un ordinateur IBM de l’Université de Waterloo. La collecte de données lui a permis de se familiariser avec le territoire canadien.
Jim a aussi étudié l’évolution du tabagisme par le biais de la dépendance à la nicotine de 24 fumeurs qui (dans le cadre d’un plan expérimental croisé) alternaient entre cigarettes usuelles et à faible teneur en nicotine. La cueillette de données l’amenait à faire des visites hebdomadaires, à vélo, au domicile des sujets pour ramasser leurs mégots et mesurer le taux de monoxyde de carbone dans leur sang à l’aide d’un éthylomètre. Ceci lui a inculqué un profond respect des données.
La thèse de Jim a été encadrée par William Forbes, qui était chimiste, et Jack Robinson, qui était ingénieur chimiste. Ils étaient tous les deux professeurs au Département de statistique, mais Jim jugeait que ses travaux étaient inférieurs à ceux de ses camarades, qui démontraient des théorèmes. Il se souvient encore des conseils avisés de Marvin Zelen, de SUNY/Buffalo, qui, en tant que professeur associé à Waterloo, y enseignait la régression logistique et l’analyse (de Cox) des durées de vie :« Jim, ce n’est pas ce que tu fais dans ta thèse qui compte, c’est ce que tu feras après. »
Quoique Jim ait décliné l’offre d’admission de SUNY, Marvin l’a invité à rejoindre son équipe de recherche en statistique, qui analysait les essais cliniques de deux grands groupes coopératifs d’oncologie. Il a rejoint le groupe après sa soutenance, en mars 1973, et a pris en charge les études de radiothérapie dont Jack Kalbfleisch (qui retournait à Waterloo) s’occupait depuis deux ans. En 1977, Marvin a relocalisé son labo (qui avait la taille d’un club de baseball) au Sidney Farber Cancer Center, à Boston ; il s’est arrangé pour que tous ceux qui avaient un doctorat soient nommés au Département de biostatistique de la Harvard School of Public Health.
En 1979, après avoir donné un exposé sur le plan de Zelen lors d’un congrès sur les essais cliniques, Jim a rencontré Duncan Thomas, qui lui a parlé d’un poste à combler au Département d’épidémiologie et de santé de McGill. Après son arrivée à Montréal en 1980, l’unité a connu une rapide expansion de ses programmes d’études supérieures, surtout après avoir changé de nom en 1984 pour refléter la taille de son groupe de biostatistique, le plus grand au Canada.
Les nombreuses contributions de Jim à la statistique et à l’épidémiologie ont déjà été décrites dans Liaison (vol. 30, no. 3, pp. 31-33) lorsque la SSC lui a remis le Prix pour l’impact de travaux appliqués et collaboratifs en 2016. Ses écrits sur l’interprétation et la comparaison des courbes ROC ont été particulièrement influents et plus de 100 de ses articles ont été cités plus de 100 fois. Très engagé dans la communauté, il a présidé le Comité organisateur local du Congrès international de biométrie à Montréal en 2006, travaillé bénévolement en 2008 pour le gouvernement canadien dans le cadre d’une poursuite visant à modifier les règles régissant la publicité des médicaments par les fabricants, organisé une série d’exposés grand public lors du 50e anniversaire de son département, réalisé des entretiens avec d’éminents chercheurs, produit des articles sur la pédagogie et sur l’histoire de l’épidémiologie et de la statistique, et déployé beaucoup d’efforts pour partager ses connaissances et son matériel didactique, lequel est disponible en grande partie à l’adresse suivante : https://jhanley.biostat.mcgill.ca.
Outre le prix d’impact 2016 de la SSC, Jim a reçu le prix du Principal de McGill pour l’excellence de l’enseignement en 2011 ; la Société canadienne d’épidémiologie et de biostatistique lui a aussi décerné un prix d’excellence pour l’ensemble de ses réalisations en 2017. Il a pris sa retraite en décembre 2023 afin de découvrir davantage le monde avec sa conjointe, Ann Marie, qu’il a rencontrée à Waterloo en 1972. Ils pensent surtout faire des croisières, de sorte que les jours de mer, Jim puisse consacrer du temps à des questions statistiques, historiques et océanographiques.
Le grand-père et le père de Jim ont transmis à sa fratrie des compétences considérables en matière de voile et de navigation de plaisance, mais ses propres débuts de skipper en eau libre, à bord d’une péniche sur le Saint-Laurent près de Gananoque en 1996, n’ont pas impressionné sa famille. Il se contentera donc de voyager sous la direction d’un capitaine de vaisseau professionnel dans des navires beaucoup plus grands que l’embarcation de quatre mètres, construite par son père et son grand-père, avec laquelle il a traversé le port de Berehaven quand il était poupon. Il continuera néanmoins à explorer les océans, tant en réalité que par le biais de la lecture, mû par la tradition maritime que lui a léguée son grand-père pendant son enfance, sans électricité, sur l’île de Bere.
La dédicace du prix est la suivante :
« À James A. Hanley, pour ses travaux novateurs sur les tests de diagnostic et l’évaluation des programmes de dépistage des maladies ; pour la qualité exceptionnelle de son enseignement et de son mentorat ; pour avoir promu l’usage des meilleures méthodes statistiques par la collaboration et la vulgarisation ; et pour son dévouement exemplaire envers la profession. »
Ce texte a été écrit par Christian Genest, qui a aussi constitué le dossier de candidature.