Le Prix Impact reconnaît les contributions exceptionnelles de membres de la SSC dans le domaine de la recherche collaborative et du travail appliqué, dont l’importance provient principalement de leur impact relativement récent sur un sujet autre que celui des sciences de la statistique, sur un domaine d’application ou encore sur un organisme. Ce prix peut être attribué pour une recherche en collaboration publiée, pour une collaboration en travail appliqué (publié ou non), ou de façon plus générale, pour l’impact qu’un statisticien aura eu sur un organisme (par exemple, une compagnie ou une agence gouvernementale), ou un domaine d’intérêt par l’entremise de son travail collaboratif ou appliqué.
Le lauréat 2023 du prix de la Société statistique du Canada pour l’impact du travail collaboratif et appliqué est Pierre Dutilleul, professeur de statistique au Département de sciences végétales de l’Université McGill. Ce prix salue les contributions exceptionnelles de membres de la SSC à des travaux de recherche appliquée réalisés en collaboration, dont l’importance découle principalement de son impact relativement récent sur un organisme ou dans un domaine du savoir autre que la statistique.
Originaire de Belgique, Pierre Dutilleul est diplômé de l’Université catholique de Louvain (BSc 1983, MSc 1984, DSc 1990), où il a rédigé sa thèse sous la direction de Guy Gérard et José Paris. Établi à Montréal depuis 1990, Pierre est bien connu et fréquemment cité pour ses diverses adaptations des célèbres tests de Student et de Fisher dans divers contextes de corrélation et de régression (linéaire, multiple, partielle, pas à pas, multi-échelle, etc.), pour des données variant dans le temps et l’espace. Son article fondateur sur ce sujet, publié dans Biometrics en 1993, a été cité près de 1000 fois.
Outre l’étude de la validité empirique et d’autres propriétés statistiques de ces nouveaux tests, Pierre a facilité leur utilisation au moyen de logiciels. Il en a aussi montré la pertinence et la valeur dans divers domaines, dont les sciences des plantes et du sol, l’entomologie, la limnologie et la sylviculture, où les données spatio-temporelles sont légion. Il a en outre contribué de multiples façons au développement et à l’application d’une nouvelle approche statistique pour la quantification de l’hétérogénéité spatiale. Ce vaste chantier, réalisé sur deux décennies, a abouti à la publication chez Cambridge University Press d’un ouvrage convivial intitulé Spatio-Temporal Heterogeneity : Concepts and Analyses, paru en 2011.
Le développement d’outils analytiques, l’étude de leurs propriétés, leur programmation et leur emploi dans divers contextes sont l’essence de la recherche statistique. Pierre est passé maître dans cet art et son CV fait état de nombreuses autres réalisations de ce type au fil de sa carrière. Citons par exemple ses travaux novateurs sur la généralisation tensorielle (multilinéaire) de la loi gaussienne et son article fort cité de 1999 dans le Journal of Statistical Computation and Simulation proposant un algorithme original pour l’estimation par maximum de vraisemblance des paramètres d’une loi normale matricielle.
Aussi nombreuses et impressionnantes les contributions méthodologiques de Pierre soient-elles, ce qui fait de lui un récipiendaire particulièrement digne du prix de la SSC pour l’impact du travail collaboratif et appliqué, c’est qu’il transcende constamment les limites de son domaine. Ce faisant, il est devenu un spécialiste reconnu en sciences des plantes, du sol et du bois, auxquelles il a contribué de façon très originale et pérenne par l’entremise de méthodes statistiques.
Dans le cadre d’un travail audacieux et novateur en science végétale entrepris avec son collègue Donald Smith et un doctorant (Foroutan-pour et coll., 1999, Appl. Math. Comput.), Pierre a révolutionné l’étude de la ramification des branchaisons et systèmes racinaires en caractérisant leur complexité structurelle à l’aide de la géométrie fractale et en développant des procédures pour leur analyse spatiale 3-D. L’une des principales contributions de son groupe fut l’affinement, en 2001, de la célèbre loi de Beer-Lambert et son application à l’interception de la lumière par les plantes, en y incluant la dimension fractale du patron de branchaison soutenant la canopée. La loi originale de Beer-Lambert, qui lie l’atténuation d’un faisceau lumineux aux propriétés du milieu qu’il traverse, est à la base de la tomodensitométrie.
Ayant acquis un tomodensitomètre, Pierre et son groupe élargi se sont mis à documenter et analyser de manière non invasive la croissance de plantes vivantes dans le temps et l’espace. Pionnier de l’emploi de telles images pour l’analyse fractale des patrons de branchaisons et des systèmes racinaires, Pierre est vite devenu un chef de file en la matière et a largement contribué à l’essor de la tomodensitométrie des plantes, du sol et du bois. Il a aussi développé une approche très originale en dendrochronologie.
Pierre est dorénavant considéré comme une véritable éminence grise de la phytométrie moderne. Avec l’un de ses doctorants, Jonathan Lafond (dorénavant affilié à Agriculture et Agroalimentaire Canada), il a dirigé la publication d’un livre intitulé Branching and Rooting Out with a CT Scanner: The Why, the How, and the Outcomes, Present and Possibly Future. Paru en 2016 chez Macmillan, cet ouvrage donne un portrait fidèle des applications du moment et des perspectives d’avenir à l’époque.
Dès février 2006, la prestigieuse revue Science saluait Pierre Dutilleul comme un bâtisseur de ponts entre « deux approches distinctes, l’une théorique, l’autre expérimentale. » Déjà reconnu à l’époque comme un « statisticien évoluant dans le monde des sciences végétales », Pierre n’a eu de cesse, depuis, d’explorer le versant vert de sa discipline, les sciences statistiques.
Parallèlement, Pierre s’est forgé une réputation enviable en géostatistique et, avec d’autres équipes de recherche, il a contribué à combler le fossé entre l’écologie des plantes et des insectes, la géologie et la géophysique, développant en outre des méthodes statistiques telles « l’analyse de corégionalisation avec dérive » et « l’analyse du périodogramme multifréquentiel ». Son expertise a notamment permis de réaliser des gains quantitatifs substantiels dans l’analyse de données sismiques. Sans surprise, les quelque trente personnes qu’il a encadrées au cours de sa carrière œuvrent dans un très large éventail de disciplines. De 2011 à 2022, il a en outre été co-rédacteur en chef de la revue Springer-Nature Environmental and Ecological Statistics, dont le mandat recoupe plusieurs de ses domaines d'expertise.
Côté personnel, Pierre et son épouse, Marie-Pierre, ont deux enfants et cinq petits-enfants. Elle adore cultiver des plantes ; lui apprécie le bon vin, pas forcément français ou canadien, et la bonne bière, mais belge de préférence ! L’été, la pêche à la truite dans un lac du Québec est pour lui un incontournable. Il se démarque par son sens aiguisé de l’humour, sa grande soif d’apprendre et son attitude sereine.
On doit se réjouir que la SSC reconnaisse ainsi l’ampleur et la profondeur des contributions de Pierre Dutilleul, ainsi que son impact majeur dans divers champs du savoir où les données spatio-temporelles pullulent.
Christian Genest, Université McGill, a été le principal responsable de la production de ce matériel.
« À Pierre Dutilleul, en reconnaissance de ses apports remarquables à la conception de méthodes statistiques d’analyse de corrélation, d’hétérogénéité et de complexité structurelle de données spatio-temporelles et à leur emploi dans divers domaines tels les sciences agricoles et de l’environnement, l’écologie des insectes et des plantes, et la séismologie. »