Membre honoraire de la SSC 1981

Nathan KEYFITZ
Membre honoraire de la SSC
1981

Nathan KEYFITZ, 1913-2010

Nathan Keyfitz connut au moins deux carrières professionnelles distinctes, chacune ayant duré au moins 23 ans, en plus de carrières « secondaires » entrecoupant les deux premières. Pour la plupart d’entre nous, « mortels inférieurs », chacune de ces deux carrières serait considérée comme exceptionnellement réussie. Il est le père du sondage par échantillonnage au Canada, en plus d’être un des fondateurs et maîtres à penser de la démographie mathématique dans le monde entier.

Né à Montréal en 1913, Nathan Keyfitz reçut son diplôme de Bachelier en Sciences dans la même ville (à l’Université McGill) en 1934. En ces temps de crise, les emplois demeuraient très rares. Toutefois, la croyance populaire veut que le Dr Keyfitz joignît les rangs du Dominion Bureau of Statistics (l’ancêtre de Statistique Canada) en tant que commis à la codification pour le recensement de 1931. Quoiqu’il en soit, son premier emploi professionnel débuta en 1936 avec la D.B.S., où il occupa le poste de statisticien jusqu’en 1959 environ, date à laquelle il quitta cette organisation.

Durant ces quelques 23 années, le Dr Keyfitz se hissa au sommet de l’organisation par ses travaux de recherches en statistique et on lui décerna le poste de Chercheur Sénior en Statistique, position qui fut d’ailleurs abolie après son départ. Sa contribution professionnelle peut-être la plus durable demeure l’établissement du « Sondage sur la Main-d’Oeuvre Canadienne » en 1947, le premier sondage par échantillonnage probabiliste de grande envergure au Canada et un des premiers au monde. Doté d’une productivité incroyable, ce qui d’ailleurs le caractérisa toute sa vie, il développa ce sondage sans l’aide de personne, institua les méthodes d’estimation, tria l’échantillon lui-même et prodigua de précieux conseils professionnels quant à la bonne marche de cette entreprise de pionniers. Le modèle qu’il établit juste après la guerre, sauf pour quelques améliorations mineures, devait rester inchangé pendant 20 ans.

Une des composantes de sa première carrière fut d’établir l’échantillonnage comme une discipline professionnelle à Statistique Canada. Il se chargea d’embaucher plusieurs statisticiens (tâche ardue en ce temps-là!) et d’en faire des experts en échantillonnage — accomplissant à lui seul l’œuvre d’un département gradué. Il vulgarisa la théorie de l’échantillonnage en organisant des cours pour les non-initiés, mit en lumière de nouvelles occasions pour appliquer l’échantillonnage et publia nombre d’articles scientifiques fondamentaux (e.g., sur l’estimation de la variance basée sur des échantillons complexes — le premier écrit appliqué jamais publié sur le sujet; aussi sur comment mettre à jour un modèle d’échantillonnage sans sélectionner un nouvel échantillon complet). Au moment de quitter cette institution, la théorie et l’application de l’échantillonnage y étaient solidement implantées; celle-ci devait en fait devenir une tête de file dans cette discipline.

Toujours durant cette première carrière il trouva le temps d’aller décrocher un Doctorat en Sociologie à Chicago (en 1952), d’être à l’emploi de l’Université McGill comme enseignant en Sociologie (1948-1951), de passer trois mois au Burmese Statistical Office à titre de conseiller en recensement, de devenir membre de l’lndonesian Planning Bureau (1952-1953), en profitant pour apprendre le français, l’espagnol, l’allemand, l’indonésien et l’italien, cinq nouvelles langues pour lui.

Sa deuxième carrière professionnelle, celle qu’il continue d’exercer, traite de problèmes de population; elle prit naissance en 1937 lorsqu’il publia son tout premier article, dans lequel il développa les tables de vie du Canada. Il occupa successivement un poste de Professeur de Sociologie aux Universités de Toronto et plus tard, de Chicago (1959-1968); ensuite l’Université de la Californie à Berkeley lui confia un poste de Professeur de Démographie (1968-1972); l’étape suivante le mena à Harvard en tant que Professeur Andelot de Sociologie. Il accepta aussi, à temps partiel, la position de Professeur Lazarus de Démographie Sociale à l’Université de l’état d’Ohio.

Son rendement prolifique au cours des 25 dernières années en a fait un des rares chercheurs à jeter les bases de la démographie mathématique, tout en explorant du même coup une gamme d’applications pertinentes : formation de la famille, causes et conséquences de mouvements de population, urbanisation, la classe moyenne, les pensions, les limites en prédiction de population, l’impact d’erreurs de compilation dans un recensement sur la distribution de capitaux fédéraux, etc.

En reconnaissance pour ses multiples contributions, il fut élu membre de la Société royale du Canada, Fellow de l’American Statistical Association, Fellow de la Royal Statistical Society, Membre de l’Institut International de Statistique, Membre Constituant de l’Institut Inter-Américain de Statistique et Membre de l’Academy of Arts and Sciences et de la National Academy of Sciences des États-Unis. Il agit comme Président de l’Association Canadienne de Sciences Politiques, Section de Sociologie et Anthropologie; il exerça aussi la fonction de Président de la Section de la Statistique Sociale de l’American Statistical Association, ainsi que Vice-Président de l’Association Canadienne de Sciences Politiques et de la Population Association of America.

Par-dessus tout, Nathan Keyfitz demeure un être scintillant, doublé d’un esprit inquisiteur.

Ivan P. Fellegi, 1983