L’assurance a souvent mauvaise réputation. Pour la plupart d’entre nous, l’interaction avec les compagnies d’assurance est un mal nécessaire ponctué par des tâches ingrates telles la paperasse à remplir, les réclamations à défendre ou les primes toujours croissantes à régler.
Pour la chercheuse en science actuarielle Silvana Pesenti, professeure adjointe au Département de sciences statistiques de la Faculté des arts et des sciences de l'Université de Toronto, l’assurance — et plus particulièrement l’évaluation et la réglementation du secteur — est un sujet exaltant qu’elle adore étudier et discuter.
« Quand je dis aux gens que j’étudie les mathématiques et l’assurance, ils me regardent généralement d’un œil sceptique, mais du point de vue mathématique l’assurance est extrêmement intéressant, parce que c’est un sujet si complexe », explique Pesenti.
« Pour évaluer une politique, vous devez prendre en compte différents risques, ainsi que les habitudes des gens, notamment pour l’assurance médicale, les changements météorologiques, les tensions politiques… Tout cela peut jouer un rôle important dans l’évaluation des risques. »
Une grande partie du travail de Pesenti vise à aider les compagnies d’assurance à naviguer le processus souvent complexe de la détermination des risques. Elle cherche à mettre au point des outils statistiques fiables qui permettent d’évaluer la précision et l’exactitude des résultats de divers modèles et qui soient facilement utilisables par les praticiens de l’industrie.
« Certains modèles mathématiques employés dans le secteur de l’assurance sont obsolètes ou non adaptés au but visé. Si vous souhaitez calculer votre perte, vous devez utiliser un modèle spécifiquement capable de modéliser les pertes, plutôt que le gain de capital, par exemple. Sinon, vos résultats risquent d’être complètement trompeurs. »
Or les évaluations de risque erronées peuvent avoir des conséquences désastreuses — pour les individus, mais aussi pour la société dans son ensemble.
Un calcul correct du risque aide les compagnies d’assurance à traiter leurs clients de manière juste et équitable : par exemple, à ne pas surfacturer les primes et à éviter leur propre insolvabilité qui laisserait les gens sans assurance santé ou prestation de retraite. Plus important encore, la gestion des risques peut aider à éviter des catastrophes, telle la crise financière de 2008, qui a fait perdre à des millions de personnes leurs économies, leur maison et leur emploi.
« Parmi les facteurs qui ont conduit à la crise économique, on peut citer l’utilisation (ou abus) par les entreprises de modèles standard qui, de toute évidence, ne fonctionnaient pas bien, et l’insuffisance de la gestion des risques », affirme Pesenti. « Si vous employez des modèles qui ne sont pas précis, cela peut affecter tout un secteur. C’est vrai pour le calcul du risque en assurance, mais également en finance. »
Récemment, Pesenti et ses collègues chercheurs ont mis au point une méthodologie d’évaluation du risque personnalisée et cohérente qui inclut un code source ouvert et partageable et un ensemble de données, prêt à être utilisé par quiconque connaît le langage de programmation R.
« Les praticiens n’ont pas nécessairement le temps ou les connaissances mathématiques nécessaires pour suivre les dernières avancées de la recherche et les intégrer dans un langage de programmation. C’est là la lacune que remplit notre progiciel R », explique-t-elle. « C’est là vraiment l’un des aspects de ma recherche qui me plaît le plus. Il existe un énorme potentiel d’applications en industrie et cela permet de jeter des ponts entre le monde universitaire et le leur. »
En l’espace de quatre mois à peine après son lancement en juillet, le progiciel R de Pesenti a été téléchargé plus de 900 fois, permettant aux compagnies d’assurance d’effectuer des « tests de stress inverse » sur leur portefeuille, en plus de tests de stress plus conventionnels.
« Le test de stress ordinaire est fondé sur un scénario et permet de répondre à des questions relatives à la performance du secteur dans son ensemble quand l’économie va mal. Le test de stress inverse est beaucoup plus spécifique à une compagnie en particulier. Chaque compagnie peut évaluer quels risques majeurs pourrait la conduire à l’insolvabilité », dit-elle. « Notre méthodologie est l’une des premières à offrir une base mathématiquement cohérente pour les tests de stress et les tests de stress inverses. »
Ainsi une compagnie qui assure, par exemple, les personnes affectées par les incendies de forêt, pourra utiliser les dernières recherches de Pesenti pour évaluer avec plus de précision leur performance en cas de catastrophe — et apporter les changements nécessaires à leurs politique en fonction des résultats. Elle pourra ainsi minimiser ses risques et même prévoir des scénarios où un événement indésirable en déclenche un autre, par exemple un tremblement de terre qui conduirait à un tsunami.
Les travaux novateurs de Pesenti en science actuarielle, discipline qui applique des méthodes mathématiques et statistiques à l’évaluation du risque, lui ont récemment valu le prestigieux Prix d’excellence Dorothy Shoichet pour les femmes professeures de la Faculté des sciences de l'Université de Toronto. Ce prix appuie les jeunes professeures par un allègement de la tâche d’enseignement, permettant à ces universitaires de se concentrer pleinement sur leurs recherches.
« La Faculté des arts et des sciences est heureuse de féliciter la professeure Pesenti sur ce superbe prix qui lui permettra de faire avancer ce programme de recherche si influent et d’offrir les résultats d’une recherche statistique fondamentale de calibre mondial aux praticiens de l’assurance », déclare Jay Pratt, vice-doyen à la recherche et infrastructure de la Faculté.
Outre qu’il lui permette de se consacrer à sa passion pour la recherche, Pesenti affirme que les prix de début de carrière visant les femmes en STEM (science, technologie, génie et mathématiques) ont un rôle à jouer pour diversifier le terrain.
« Il n’y a pas beaucoup de femmes dans mon domaine et c’est si important d’être ainsi stimulée en début de carrière pour s’épanouir. Il faut pouvoir réseauter, collaborer et présenter son travail en public. Ce prix me donnera tellement plus de souplesse et de temps pour partager mes recherches avec les personnes qui l’utiliseront à bon escient pour changer les choses. »