Avec un doctorat en biostatistique de Harvard, où elle a bénéficié un prix de service de recherche national individuel pré-doctoral Ruth-L.-Kirschstein des National Institutes of Health, Jesse a axé ses recherches sur l’élaboration de méthodes statistiques pour les dossiers de santé électroniques et les données de santé mobiles. Ses travaux ont été reconnus par un prix de jeune chercheur de l’International Society of Nonparametric Statistics et une bourse Gertrude Cox avec mention honorable de la American Statistical Association.
Sciences statistiques Université de Toronto : Bienvenue à l’équipe et félicitations pour votre nouveau rôle! Pourquoi avez-vous voulu travailler au Département de statistique de Toronto?
Merci bien! Je suis honorée de rejoindre le Département de statistique et j’ai hâte de démarrer. Pour moi, la décision de rejoindre Toronto a été facile à prendre. Au département et partout à l’université, les chercheurs effectuent un travail de pionnier à l’intersection de la médecine, de la statistique et de l’apprentissage machine. Ce mélange unique de talent technique et de force en recherche clinique fait de l’université un endroit idéal pour une biostatisticienne comme moi. Et puis, d’un point de vue personnel et politique, je suis vraiment ravie de déménager à Toronto.
Racontez-nous un peu votre parcours.
C’est ironique que j’aie atterri dans le monde universitaire parce que je n’étais même pas sûre de vouloir aller à l’université. Après l’école, j’ai commencé à travailler comme cuisinière à la chaîne dans un restaurant mexicain, car j’adore cuisiner. Malheureusement, j’ai rapidement été licenciée après avoir détruit une fournée industrielle de guacamole. Ayant anéanti mes rêves de devenir chef de restaurant (et une tonne d’avocats), j’ai décidé de donner une chance aux études.
En deuxième année, j’ai suivi un cours de mathématiques discrètes qui m’a inspiré à me spécialiser en maths. J’ai toujours apprécié les cours théoriques, mais ce qui m’a surtout attirée, c’est la capacité des mathématiques à formaliser, structurer et résoudre des problèmes du monde réel, notamment dans des domaines à impact élevé comme la médecine. C’est cet intérêt qui m’a conduit à suivre des cours en biostatistique et entamer un doctorat dans ce domaine.
J’ai eu la chance de poursuivre mes études sous la supervision de Tianxi Cai à Harvard, puis d’entreprendre des études postdoctorales à Stanford avec Lu Tian. Actuellement, je suis scientifique de données chez Alphabet Verily Life Sciences, dans l’équipe de recherche et développement en santé mentale que dirige Menachem Fromer. Ayant goûté à l’industrie et avec l’encouragement de ces mentors extraordinaires, je suis heureuse d’avoir retrouvé le chemin du monde universitaire à Toronto.
Devoir déménager de Boston à Toronto au milieu de toutes ces restrictions actuelles, quel stress! De quoi vous réjouissez-vous le plus de la vie à Toronto?
Il est difficile de digérer toutes les perturbations que cette pandémie a causées. Les restrictions qui compliquent mon déménagement physique ne sont qu’un petit problème à surmonter. Je suis plus que chanceuse d’avoir décroché ce poste de rêve pendant cette période et je suis reconnaissante d’avoir quelque chose dont me réjouir!
D’un point de vue scientifique, j’ai hâte de reprendre activement le fil de mes recherches après avoir travaillé en industrie ces dernières années. D’un point de vue personnel, je me réjouis de l’aventure de vivre dans une nouvelle grande ville si diverse.
Qu’est-ce qui vous plaît tant dans la statistique?
John Tukey l’a dit si bien : « La plus grande satisfaction quand on est statisticien, c’est de pouvoir jouer dans la cour arrière de tant de monde. » Dans ma courte carrière, j’ai eu l’occasion d’appliquer la statistique à la classification des lancers de baseball, à la défense de missile balistique et au diagnostic de maladies. C’est formidable d’avoir une compétence applicable à tant de domaines et qui vous permet en même temps d’apprendre des choses dont vous n’auriez sinon jamais eu la moindre idée. Je trouve qu’il est vraiment amusant de travailler avec des experts d’autres domaines pour identifier les problèmes à résoudre et les cadres statistiques qui permettront de le faire.
Quels cours allez-vous enseigner cet automne?
J’ai appris hier que je vais enseigner le cours STA2112H, Statistique mathématique I. Nancy Reid va enseigner la seconde moitié du cours au printemps; j’ai hâte de collaborer avec elle.
Parlez-nous de vos intérêts de recherche actuels.
Je mets au point des méthodes statistiques et d’apprentissage machine pour mieux comprendre le phénotype numérique—ces informations de santé que recèlent les données numériques que nous générons au quotidien. La plupart de mon travail consiste à analyser des données cliniques recueillies systématiquement sous la forme de dossiers de santé électroniques (DSE) et plus récemment sous la forme de données de santé mobiles enregistrées dans les téléphones cellulaires. Ces deux sources de données offrent des perspectives considérables pour nous aider à mieux comprendre la santé et la maladie en dehors des études cliniques traditionnelles. Cependant, ces données sont recueillies sur site et par conséquent, leur qualité est moindre par rapport à une étude contrôlée. Cela interdit souvent l’emploi de méthodes d’analyse standard et ouvre la voie aux statisticiens comme moi pour mettre au point de nouvelles méthodes qui tiendront mieux compte de ces données.
Comme vous l’avez dit, vos recherches sont axées sur les données des dossiers de santé électroniques. Ces données DSE pourraient-elles contribuer à mieux comprendre la COVID-19?
C’est une très bonne question et je pense que la réponse honnête, c’est que les chercheurs y travaillent encore. Il est important de noter que d’un point de vue scientifique, la COVID-19 est tout nouvelle et que nous commençons à peine à créer une base de connaissances sur le virus. Cela limite le type d’analyses statistiques que l’on peut effectuer et les conclusions que l’on peut tirer.
Cela étant dit, l’un des grands avantages que présentent les données DSE, c’est qu’elles permettent la consolidation rapide de gros volumes de données cliniques des pays touchés. De fait, le Consortium for Clinical Characterization of COVID-19 by EHR (ou 4CE) a récemment publié un article qui étudie des données couvrant plus de 27 000 cas de COVID-19 de 96 hôpitaux aux États-Unis, en France, en Italie, en Allemagne et à Singapour. L’équipe a su dompter un énorme volume de données et résumer leurs conclusions en moins de quinze jours. Cet effort impressionnant démontre la puissance des données DSE à informer des études de maladies en pleine évolution comme la COVID-19. Cependant, ces analyses à grande échelle devraient surtout servir à compléter et, potentiellement, à valider des études de recherche clinique traditionnelles, en raison des limites inhérentes des données DSE, à savoir notamment qu’elles ne concernent que les patients « assez malades » pour se rendre à l’hôpital et qu’elles manquent d’informations sur certains facteurs environnementaux importants.
Et qu’en est-il des données de téléphones cellulaires?
Au niveau de la population, je suis emballée par les applis de surveillance de santé publique. En particulier, l’appli HowWeFeel (HWF) permet aux utilisateurs de communiquer des informations démographiques et sur leurs symptômes en 30 secondes et de voir comment se sentent les gens à proximité d’eux. Les données agrégées nous aident à identifier de nouveaux foyers du virus et les populations le plus susceptibles d’être infectées. En plus, HWF s’engage pour chaque téléchargement à donner via Feeding America un repas à des personnes dans le besoin.
Les choses sont plus compliquées au niveau individuel. Avec l’augmentation récente de la télémédecine, il devient très intéressant de développer des marqueurs pour les téléphones cellulaires qui permettraient de suivre l’état de santé des patients entre les visites, s’agissant notamment de santé mentale. Cependant, il n’y a pas de correspondance directe entre les marqueurs qui étaient utiles avant la pandémie et ceux que le sont pendant celle-ci. Ainsi par exemple, les données de GPS quotidiennes peuvent être exploitées pour identifier les périodes ayant des sens sémantiques comme « domicile », « bureau » et « trajet de navette ». Un changement de routine peut indiquer un changement d’état de santé mentale. Mais maintenant que la plupart des gens passent le plus clair de leur temps chez eux, certains marqueurs auxquels nous avions l’habitude de nous fier ne varient presque plus. Il sera intéressant de voir comment tout cela évolue dans les mois à venir.
Qu’espérez-vous accomplir à votre poste à Toronto?
Bien des choses, dont deux qui me viennent immédiatement à l’esprit.
Tout d’abord, j’ai hâte de contribuer mon expérience de l’industrie à ma recherche, à mon enseignement et à mon mentorat. L’une des plus grandes différences entre le monde universitaire et l’industrie, c’est la vitesse à laquelle un problème de statistique ou d’apprentissage machine est traduit du papier à la production. J’espère développer un programme de recherche qui comble utilement le fossé entre théorie et pratique, puis en faire de même dans mon enseignement. Pendant mes études, j’ai longtemps hésité entre industrie et université, si bien que je pourrai donner quelques conseils à cet égard aux étudiants de Toronto.
Mon second objectif est personnel. Je suis la première de ma famille à avoir décroché un diplôme universitaire et mon parcours n’a pas été des plus simples. Il est important pour les étudiants de savoir que le succès ne saurait passer par une voie unique et je pense qu’il est nécessaire que les professeurs s’expriment là-dessus. Mes expériences m’ont donné la passion d’encourager les groupes traditionnellement sous-représentés à poursuivre des études supérieures. L’année dernière, j’ai donné une présentation à la conférence annuelle Richard-Tapia de l’ACM qui célèbre la diversité en informatique, conférence qui réunit étudiants et professionnels en informatique de toutes origines et ethnicités. Je consacre aujourd’hui une partie de mon temps libre, alors que nous sommes confinés chez nous, à examiner des propositions pour le consortium doctoral de l’année prochaine. Je me réjouis de participer (voire créer) des programmes similaires à l’Université de Toronto.
Est-ce que vous auriez des faits insolites à nous raconter sur vous? Que faites-vous dans votre temps libre pour vous détendre? Des passe-temps intéressants?
J’ai souvent déménagé lorsque j’étais petite et j’ai passé plusieurs années à Fargo, dans le Dakota du Nord. J’y ai commencé le patinage artistique de compétition et j’aime encore lacer les patins de temps à autre. Je fais aussi de la course d’endurance depuis une quinzaine d’années et je déteste qu’une journée se passe sans avoir couru quelques kilomètres. Et comme je l’ai mentionné, j’adore cuisiner—mais pas à la chaîne.
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